Financement libyen : sept ans de prison requis contre l’ex-président Nicolas Sarkozy

sarko-2 Financement libyen : sept ans de prison requis contre l'ex-président Nicolas Sarkozy

Le parquet financier a requis jeudi 27 mars à l’encontre de Nicolas Sarkozy une peine de sept ans de prison et de 300 000 euros d’amende, ainsi que cinq ans d’inéligibilité, des réquisitions que l’ancien président de la République a accueilli le visage pétrifié.

Au premier jour des réquisitions, le Parquet national financier avait estimé nécessaire de faire une mise au point : « On a parlé d’un dossier construit sur un postulat, celui de la culpabilité de Nicolas Sarkozy. Il n’en est rien. Notre action a toujours été l’application de la loi dans un souci de justice et d’impartialité. Les faits, tous les faits, rien que les faits », avait appuyé l’un des trois magistrats. Alors à l’issue de réquisitions étayées, charpentées et accablantes pour les prévenus, le ministère public a tiré une conclusion : un pacte de corruption a bien été conclu entre « le clan Sarkozy » et la dictature libyenne de Mouammar Kadhafi afin de financer la campagne présidentielle de 2007.

L’ancien chef d’État reçoit la réquisition la plus lourde : 7 ans de prison, 300 000 euros d’amende, ainsi que cinq ans d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer une fonction juridictionnelle. Ce qui pourrait, par exemple, l’empêcher de siéger au Conseil constitutionnel. Les magistrats se sont montrés fermes à l’égard de l’ancien locataire de l’Élysée, « qui a toujours contesté les accusations et ne semble pas avoir pris la mesure des faits reprochés », notent-ils.

Si la plus lourde des réquisitions revient à Nicolas Sarkozy, c’est parce que les magistrats financiers estiment qu’il est le « véritable décisionnaire et commanditaire » du « pacte de corruption inconcevable, inouï et indécent », noué avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi, afin de financer sa campagne électorale. Le Parquet national financier demande au tribunal de le déclarer coupable de corruption, recel de détournement de fonds publics, association de malfaiteurs et financement illégal de campagne électorale. Soit tous les délits pour lesquels il est jugé.

Son visage n’a rien laissé transparaître au moment de l’annonce des réquisitions. L’ancien chef d’État s’est éclipsé, laissant ses avocats répondre à la presse. Ces derniers ont fustigé la lourdeur des peines requises par le parquet, visant, selon eux, « à compenser la faiblesse de sa démonstration ». L’ancien président a ensuite fustigé, sur X, « la fausseté et la violence des accusations et l’outrance de la peine réclamée ». Il a ajouté vouloir « croire dans la sagesse du tribunal », qui ne rendra sa décision que dans plusieurs mois.

Les amis et collaborateurs de Nicolas Sarkozy

Le « clan Sarkozy » n’est pas non plus épargné par la lourdeur des réquisitions. À commencer par Claude Guéant. Six ans de prison et 100 000 euros d’amende ont été requis à l’encontre de l’ex-secrétaire général de l’Élysée, 80 ans, qui ne s’est pas présenté à la fin du procès pour des raisons de santé. Claude Guéant est notamment suspecté de s’être rendu en Libye, en 2005, afin d’y rencontrer Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi et terroriste d’État, condamné à la perpétuité en France pour sa participation dans l’attentat du DC-10 de la compagnie aérienne UTA, dans lequel 54 Français sont morts.

D’après l’accusation, c’est à ce moment que se serait noué le pacte de corruption. Une rencontre, hors de tout circuit officiel, qu’il n’aurait pas souhaité, selon ses dires à la barre, évoquant un « piège », un « traquenard », tendu par l’organisateur de la rencontre : l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine. Un argument « surréaliste et peu convaincant », d’après le parquet qui estime, au contraire, que la rencontre était parfaitement « organisée et planifiée ». « L’idée de ce dîner était de s’assurer du soutien financier libyen pour la future campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy », ajoutent les magistrats.

Par ailleurs, Claude Guéant est suspecté d’avoir reçu plusieurs valises remplies d’argent du régime Kadhafi et d’avoir loué un coffre-fort dans une banque parisienne, à quelques pas du QG de campagne de Nicolas Sarkozy. D’après lui, il était destiné à stocker des discours de Nicolas Sarkozy. « C’est peu dire que Monsieur Guéant a eu du mal à justifier la location de cette chambre forte », ont rappelé les magistrats.

Autre intime de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux. Trois ans de prison et 150 000 euros d’amende ont été requis à l’encontre de l’ancien ministre de l’Intérieur. Il est suspecté de s’être rendu en Libye, en 2005, quelques semaines après Claude Guéant, afin d’y rencontrer à son tour Abdallah Senoussi. Comme Claude Guéant, il a évoqué « un guet-apens » tendu, d’après lui, par l’intermédiaire Ziad Takieddine. Or, Brice Hortefeux rencontre Abdallah Senoussi directement à son domicile. Pour les magistrats, difficile de plaider le piège : « Le ministre aurait dû s’indigner et tourner les talons, ce qu’il n’a pas fait, avertir les autorités à son retour, ce qu’il n’a pas fait, ne plus jamais avoir recours aux services de Ziad Takieddine, ce qu’il n’a pas fait ». Brice Hortefeux s’est donc rendu « de son plein gré » chez Abdallah Senoussi, estiment-ils.

Le parquet demande aussi une condamnation pour Eric Woerth, l’ancien trésorier de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, en 2007 : un an de prison aménagé d’office et 3 750 euros d’amende. L’homme de 69 ans a eu le plus grand mal à justifier à la barre l’origine de nombreuses espèces, destinées à gratifier les salariés de la campagne présidentielle de 2007. D’après lui, l’argent provient de dons anonymes envoyés par la poste par des militants. Les magistrats ont pointé les incohérences de cet argument. Pourquoi reçoit-il directement les enveloppes, alors qu’il existe un service de réception du courrier au parti ? Pourquoi ne tient-il pas une comptabilité afin de garder une trace ? Pourquoi n’avertit-il pas la commission de campagne ? « Eric Woerth a été dans l’incapacité de livrer une explication cohérente quant à l’origine de ces espèces », pointent les magistrats.

Enfin, Thierry Gaubert. À l’encontre de cet ex-collaborateur de Nicolas Sarkozy, le Parquet national financier réclame trois ans de prison, 150 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Il est soupçonné d’avoir reçu de l’intermédiaire Ziad Takieddine 440 000 euros qui auraient pu alimenter la campagne grâce à des retraits en liquide en 2006 et 2007. Début février, à la barre, il avait eu le plus grand mal à justifier l’utilité de cette somme, évoquant le financement de travaux dans la maison d’un ami en Colombie. Ses explications confuses et contradictoires avaient parfois totalement perdu la Cour et sa présidente.

Les intermédiaires

Ils sont ceux que le parquet qualifie « d’agents corrupteurs » et dont la seule présence accrédite la thèse d’un pacte de corruption. Ziad Takieddine, d’abord. Le parquet requiert six ans de prison et 3 millions d’euros d’amende ainsi que le maintien de son mandat d’arrêt. Car l’intermédiaire, en fuite au Liban, est jugé par le tribunal en son absence.

Sa version des faits dans ce dossier a beaucoup évolué. Il est tout de même soupçonné d’avoir remis, entre fin 2006 et début 2007, 5 millions d’euros à Claude Guéant, alors directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Pour les magistrats, il est « la cheville ouvrière du pacte de corruption ». Mais il n’est pas le seul.

Un autre intermédiaire sulfureux gravite autour des protagonistes de l’affaire : Alexandre Djouhri, concurrent de Ziad Takieddine. L’accusation a requis cinq ans de prison et 4 millions d’euros d’amende à son encontre. L’homme d’affaires franco-algérien de 66 ans est suspecté d’être au cœur de l’autre réseau de corruption allégué dans ce dossier. Un réseau organisé autour de l’argentier du régime libyen, Bechir Saleh. Alexandre Djouhri avait expliqué à la barre comment il avait contribué, en 2012, à l’exfiltration hors de France de Béchir Saleh, quelques jours après la publication d’un article de Médiapart sur un supposé accord de financement de la campagne de 2007 par des fonds libyens.

Pour le parquet, il est évident que Béchir Saleh est « l’homme qui en savait trop et qui avait peut-être des choses à dire ». Cette exfiltration apparaît dès lors comme celle « d’un témoin potentiel », « organisée par les proches de Nicolas Sarkozy dans son intérêt ». Un élément supplémentaire pour étayer le pacte de corruption, selon les magistrats, qui requièrent six ans de prison et 4 millions d’euros d’amende, avec un mandat d’arrêt, à l’encontre de Béchir Saleh, actuellement en fuite.

Les autres prévenus

Le second réseau de corruption auquel appartient Alexandre Djouhri, aurait acquis, après la présidentielle, une villa à Mougins à un prix surévalué afin de dissimuler un détournement de fonds publics libyens. Alexandre Djouhri est soupçonné d’avoir collaboré dans ces manœuvres avec le banquier Wahib Nacer ainsi qu’avec deux hommes d’affaires saoudiens, les cousins Ahmed Salem Bugshan et Ali Khalid Bugshan, tous les trois prévenus.

Un ancien vice-président exécutif d’Airbus, Edouard Ullmo, est également jugé pour avoir fait payer des commissions à Djouhri en marge de la vente de 12 avions à la compagnie libyenne Afriqiyah Airways.

Contre ces quatre hommes, le parquet financier a demandé des peines de quatre ans de prison et un million d’euros d’amende contre Wahib Nacer, trois ans de prison dont un avec sursis et 4 millions d’euros d’amende contre Ali Khalid Bugshan, trois ans de prison dont deux avec sursis et 375 000 euros d’amende contre Edouard Ullmo et enfin deux ans de prison dont un avec sursis et 4 millions d’euros d’amende contre Ahmed Salem Bugshan. Les plaidoiries de la défense débuteront lundi 31 mars et s’étaleront jusqu’au 8 avril.

Radio France Internationale (RFI)

Partagez :