Guerre Israël-Iran : un casse-tête et un test pour Pékin

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La Chine veut se poser en facilitateur de paix entre Israël et l’Iran, mais cette nouvelle guerre débutée vendredi montre surtout le décalage entre les ambitions chinoises au Moyen-Orient et ses moyens d’action. C’est un silence qui en dit long sur l’embarras à Pékin face à la guerre qui a éclaté entre Israël et l’Iran vendredi 13 juin. Le président chinois Xi Jinping a attendu quatre jours pour s’exprimer, appelant mardi les deux parties « à une désescalade du conflit aussi vite que possible » tout en proposant de « jouer un rôle constructif » sur le plan diplomatique. Sans ajouter beaucoup plus de détails.

C’est peu dire que cette nouvelle guerre qui embrase encore un peu plus le Moyen-Orient gêne Pékin aux entournures. À l’heure où le pays veut se présenter sur la scène internationale comme une superpuissance qui pèse diplomatiquement et capable d’offrir une alternative aux États-Unis, ce conflit illustre les limites de ses ambitions.

L’Iran, un partenaire stratégique pour la Chine

D’abord, Pékin est économiquement très proche de Téhéran, ne serait-ce qu’à cause de l’or noir. « La Chine demeure de loin le plus important importateur de pétrole iranien », souligne CNN. « Pour l’instant, l’impact de la guerre reste limité pour la Chine car les prix n’ont pas encore trop monté, mais si, par exemple, le détroit d’Ormuz [entre le golfe d’Oman et le golfe Arabo-Persique, par lequel passe la plupart du pétrole à destination de l’Asie, NDLR] venait à être fermé, ce serait une autre histoire », souligne Andrea Ghiselli, spécialiste des relations internationales de la Chine à l’université d’Exeter et directeur de recherche au Projet ChinaMed de l’université de Turin.

En 2021, la Chine et l’Iran ont également signé un partenariat sur 25 ans qui, entre autres choses, actait l’entrée de l’Iran dans le fameux programme géant d’investissement chinois des Nouvelles routes de la soie.

Pékin compte donc sur sa proximité avec l’Iran pour étendre au Moyen-Orient son influence… et pas seulement économique. Le régime de Téhéran « s’oppose à l’hégémonie nord-américaine dans la région et dans le monde, ce qui coïncide avec l’un des axes diplomatiques chinois », souligne Andrea Ghiselli. À travers l’Iran, la Chine veut montrer qu’un autre modèle est possible à des pays comme l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis, qui lorgnent davantage sur Washington.

L’Iran représente donc une porte d’entrée pour Pékin dans la région. « L’une des priorités diplomatiques du moment pour la Chine est d’avoir des meilleures relations avec tous les pays du Golfe, et l’effondrement du régime iranien serait un coup très dur pour elle à cet égard », affirme Marc Lanteigne, spécialiste de la Chine à l’Université arctique de Norvège.

En effet, la chute éventuelle des autorités au pouvoir à Téhéran « remettrait en cause un certain équilibre régional que la Chine a participé à ériger », souligne Marc Lanteigne. C’est par exemple « grâce à Pékin que l’Iran et l’Arabie saoudite ont signé un accord de normalisation des relations en 2023. Celui-ci risque de partir en fumée à cause de cette guerre », précise ce spécialiste.

Sur le papier, la Chine a donc tout intérêt à ce que le pouvoir iranien survive à cette guerre. Xi Jinping n’a d’ailleurs pas caché son mécontentement à l’égard d’Israël dans sa prise de parole mardi : « Nous nous opposons à tout acte qui porte atteinte à la souveraineté, à la sécurité et à l’intégrité territoriale d’autres pays », a déclaré le président chinois dans une allusion à peine voilée aux frappes aériennes qu’Israël mène en Iran depuis vendredi.

Paroles, paroles, paroles

Mais au-delà des mots, que peut faire Xi Jinping ? « Actuellement, les autorités iraniennes regardent autour d’elles et se demandent où sont leurs amis, alors que la Russie [alliée historique de l’Iran] a décidé de fermer son consulat à Téhéran. L’Iran n’a pas besoin de communiqués ou déclarations, mais d’aide concrète, comme des systèmes antiaériens ou des chasseurs », résume Andrea Ghiselli.

Hors de question, cependant, que « l’ami » chinois livre des armes à l’Iran, d’après les experts interrogés par France 24. « L’Iran est un partenaire de la Chine, pas un allié. C’est-à-dire que Pékin n’a aucune envie de se retrouver entraîné dans les conflits auquel Téhéran est mêlé », résume Andrea Ghiselli.

 D’autant moins que du côté israélien, l’allié américain Donald Trump adopte un ton de plus en plus guerrier à l’égard de l’Iran. Dans ce contexte, envoyer des armes à Téhéran risquerait d’entraîner la Chine dans un conflit par procuration contre les États-Unis, alors même que Pékin « essaie actuellement de calmer le jeu avec Washington », note Marc Lanteigne.

Retour donc à la case du « rôle constructif » sur le plan diplomatique que Xi Jinping a tenté de mettre en avant. Concrètement, certains analystes estiment que la Chine pourrait, ainsi, vouloir jouer le rôle de « médiateur » dans d’éventuelles négociations de paix.

Risque de perte d’influence

Pékin a, en effet, déjà joué les intermédiaires dans la région. Outre l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite, la Chine a aussi facilité l’accord d’unité entre les factions palestiniennes signé en juillet 2024.

Mais cette fois-ci, il faudrait convaincre Israël. « La Chine serait ravie d’y parvenir pour accroître son image de facilitatrice de paix, mais, en l’occurrence, je ne vois pas quel levier Pékin a pour faire pression sur Israël. Surtout que Pékin n’a pas manqué de critiquer l’opération militaire israélienne à Gaza », note Marc Lanteigne.

« Le gouvernement de Benjamin Netanyahu dispose aussi du soutien de l’administration Trump dans sa guerre, et n’a donc pas intérêt pour l’instant à écouter des appels à des négociations de paix », ajoute cet expert.

Autrement dit, la Chine peut certes frapper du poing sur la table, mais pas beaucoup plus, ce qui peut « être assez frustrant pour elle car cette crise représente clairement un test important pour la diplomatie chinoise », résume Andrea Ghiselli.

Tout signe d’impuissance risque de ternir son image de marque dans la région. La Chine pourrait perdre des amis ou renforcer des factions sino-sceptiques. Y compris dans des pays comme l’Iran où « il y a aussi un courant critique selon lequel Pékin profite surtout de l’isolement international de l’Iran pour obtenir du pétrole à bas prix et inonder le marché iranien de produits chinois », affirme Andrea Ghiselli.

Par Farnce24

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