Le café brésilien, menacé par la déforestation massive qu’il cause lui-même

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Dans moins de trois semaines, le Brésil accueillera la 30ème conférence des Nations unies sur le climat. La COP30 aura lieu à Belém, en Amazonie, et le pays entend bien faire des forêts un enjeu majeur de ce rendez-vous, alors que le Brésil est confronté à une déforestation importante. Si celle liée à l’élevage du bétail et la culture du soja est bien documentée, c’est en revanche bien moins le cas pour celle liée au café alors que le pays en est le premier producteur mondial et que ses forêts paient un lourd tribut à sa culture.

« Réveillez-vous et sentez l’odeur de la déforestation » est un rapport inédit sur les conséquences de la culture du café au Brésil. L’enjeu est loin d’être anecdotique : la culture du café est la sixième cause de déforestation mondiale, et le Brésil fournit à lui seul près de 40% de la production. Le pays profite de conditions géographiques idéales, savant mélange de terres en altitude, de températures et de précipitations adaptées et de sols volcaniques et riche au sud-est.

Cependant, ce succès mondial a un coût écologique immense. Si elle n’atteint pas l’ampleur de la déforestation liée à l’élevage ou la culture du soja, celle provoquée par le café est importante, et en croissance constante.

La superficie cultivée en café a doublé au Brésil

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Entre 1990 et 2023, la superficie cultivée en café a ainsi plus que doublé, passant de 0,6 à 1,23 million d’hectares. Cet essor a largement contribué à l’effacement de l’une des forêts les plus riches et les plus menacées de la planète : la forêt Atlantique (Mata Atlântica). Autrefois étendue sur 1,2 million de kilomètres carrés, il n’en reste aujourd’hui moins de 10%.

Plus récemment, entre 2001 et 2023, cette culture « a détruit une superficie de forêts équivalente à celle du Honduras », illustre Etelle Higonnet, fondatrice et directrice de Coffee Watch, ONG à l’origine de ce rapport. Ce sont ainsi plus de 11 millions d’hectares de forêt qui ont disparu dans les municipalités à forte densité de culture de café.

Ce chiffre recouvre plusieurs réalités et plusieurs dynamiques : si la déforestation liée directement au changement d’usage des sols pour planter du café n’y représente qu’un peu plus de 300 000 hectares, il faut y ajouter celle qui a eu lieu sur l’ensemble des propriétés des fermes à café. Ce sont alors près de 740 000 hectares qui s’ajoutent. Enfin, cette activité génère une déforestation qualifiée d’indirecte ; ce sont les routes qui grignotent les forêts en passant au travers, l’étalement urbain qui accompagne l’activité économique. Enfin, le café bénéficie également de ce qui est parfois qualifié de « blanchiment de déforestation » : il profite de terres préalablement défrichées pour d’autres activités et bénéficie ainsi d’une destruction dont il n’était pas directement à l’origine. C’est en utilisant des données satellitaires fines que Coffee Watch est parvenue à ces estimations, particulièrement élevée dans l’état du Minas Gerais, état brésilien au nord de Rio de Janeiro, véritable place forte du café brésilien.

Le café fait disparaître la pluie

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La destruction des forêts n’est pas seulement une perte écologique, mais une menace pour l’industrie elle-même. Le rapport met en lumière le rôle crucial des forêts, notamment l’Amazonie, en tant que « machine à pluie », régulant les cycles de l’eau via les « rivières atmosphériques » qui transportent l’humidité vers le sud-est brésilien. En détruisant ces systèmes hydrologiques régionaux et locaux, la déforestation pousse les principales régions caféières vers la chaleur et la sécheresse. « En regardant scientifiquement, on peut montrer très précisément comment la déforestation pour le café a détruit le cycle hydrologique de la région », explique Etelle Higonnet. « Cela a mené à des sécheresses, puis à des crises de la récolte. Le café est devenu une commodité cannibale qui détruit le système dont il a besoin ».

Depuis 2014, les anomalies de précipitations sont ainsi devenues la norme dans la ceinture caféière. Des sécheresses marquantes, notamment en 2014-2017, 2019-2020 et 2023, ont dévasté les rendements. Rien qu’en 2014, les précipitations dans des zones cruciales comme le Minas Gerais sont tombées jusqu’à 50% en dessous de la normale pendant les mois critiques de développement des grains.

Pressions économiques et réglementaires

Cette instabilité se traduit directement, provoquant des flambées des coûts. En 2023-2024, les prix ont grimpé de plus de 40%. À long terme, le secteur s’expose ainsi à un risque majeur. Les modèles climatiques prévoient que le Brésil pourrait perdre jusqu’à deux tiers de ses terres propices à la culture de l’Arabica d’ici 2050 dans un scénario d’émissions de gaz à effet de serre modérées.

Malgré ces projections alarmantes, il n’existe cependant que très peu de programmes visant à limiter la déforestation liée au café, et il est presque certain que le café du matin d’une énorme majorité de ses consommateurs soit lié à la déforestation s’il provient du Brésil. Malgré sa place de sixième cause de déforestation mondiale, « il ne reçoit aucune attention », regrette Etelle Higonnet, alors que l’huile de palme, par exemple, est désormais au centre de nombreux programmes « zéro déforestation ». Il existe cependant quelques certifications pour le café. Les cafés labellisés Smithsonian Bird-Friendly sont ainsi certifiés sans déforestations, mais seul 1% de la totalité du café produit peut s’en réclamer. Les cafés certifiés Rainforest Alliance, répondent également à un cahier des charges exigeant, cependant moins disant que Smithsonian sur le volet environnemental, mais plus regardant sur les critères sociaux. En effet, la production de café brésilien est également confrontée à des lourds problèmes de droits humains, de travail forcé, voire parfois d’esclavage dans les grandes exploitations. « L’inspection des fermes reste minimale », explique Etelle Higonnet. « L’autorité d’inspection brésilienne a mené des contrôles dans seulement 0,1% d’entre elles. Et juste avec ça, on a trouvé 3 700 esclaves qui ont été libérés ».

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D’autres labels, comme le bio ou le commerce équitable, ne contrôlent également pas la déforestation. Une des raisons de cette situation réside dans le fait « qu’aucun café certifié ne garantit un revenu décent », poursuit Etelle Higonnet. Cela rend ainsi difficile pour des agriculteurs de cesser la déforestation, faute d’alternative rémunératrice.

La réponse pourrait venir de cadres règlementaires. L’Union européenne travaille ainsi sur une loi sur la déforestation importée : toute une liste de produits, dont le café, doivent certifier qu’ils ne sont pas issus de terres déforestées depuis 2020 pour pénétrer sur le marché communautaire. Cependant, son entrée en vigueur prévue initialement en décembre 2024 a tout d’abord été reportée d’un an, avant de l’être une nouvelle fois à 2026 sous pression de nombreux pays, dont le Brésil. Le texte devrait par ailleurs être « assoupli » selon les mots de la Commission européenne ce mardi 21 octobre, à la faveur de ce nouveau retard, en pleine période de remise en cause des législations environnementales et climatiques de l’UE.

De bons exemples existent

Dans ce tableau sombre, il existe pourtant des exemples de réussite : l’agroforesterie en est un. Pratique adoptée par les communautés autochtones depuis des centaines d’années, elle réintègre les arbres dans les paysages caféiers, de sortes qu’ils forment un « bouclier naturel » contre les chocs climatiques. Les parcelles ombragées aident à retenir l’humidité des sols, à réduire la température et à protéger les cultures.

Les régions de la Zona da Mata, qui ont une tradition plus longue d’agroforesterie, ont d’ailleurs montré une meilleure stabilité de l’humidité du sol pendant les périodes de sécheresse, comme en 2021.

L’adoption de cette pratique reste pourtant anecdotique. Dans les zones clés de production comme le Minas Gerais et São Paulo, moins de 1% de la superficie cultivée est en agroforesterie.

Radio France Internationale (RFI)

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